« Purtroppo, sì. » « Malheureusement, oui. », ce sont les mots utilisés par la Ministre italienne de la Famille et de l’Egalité des Chances, Eugenia Roccella, pour répondre à la question de la journaliste Serena Bortoni « l’avortement fait-il partie d’une des libertés des femmes?» durant la transmission hebdomadaire à grande audience « Oggi è un altro Giorno » de la radio télévision publique italienne (RAI).
Réponse répétée à deux reprises par la Ministre avec, par ailleurs, une certaine insistance:
« Malheureusement, oui » , « Malheureusement, oui et ce n’est pas une bonne chose. Je ne considérais pas cela comme une bonne chose déjà lorsque je me battais pour obtenir une Loi. »
(cfr : Une Loi régissant le droit à l’avortement)
Pour historique, fin des années 70, la Ministre Roccella à l’époque syndicaliste et militante des droits humains, prônait avec ferveur la dépénalisation de l’avortement. Cette dernière, certainement influencée à l’époque par ses parents, eux-mêmes militants du Parti Radical Italien et dont le papa était par ailleurs l’un des fondateurs. Le Parti Radical est à l’origine de la requête de référendum concernant l’avortement fin des années 70, nous y reviendrons plus tard dans le cadre de cet article.
Eugenia Roccella allant jusqu’à ponctuer son intervention avec des mots extrêmement durs par rapport au droit d’avorter:
« J’ai appris du féminisme que l’avortement lui-même n’est pas un droit. »
Toujours selon la Ministre Roccella, « la Loi n°194 (cfr : La première Loi Italienne qui régit l’interruption de grossesse) est une bonne Loi, très équilibrée, qui prévoit par exemple la possibilité de s’imposer comme objecteur de conscience », (cfr : Médecins qui refusent de pratiquer l’interruption de grossesse) mais toujours selon elle, « les femmes ne sont pas contentes de se faire avorter. »
Assurant enfin que la Loi n°194 ne serait pas touchée par le Gouvernement Meloni et que même si elle, en tant que Ministre de la Famille et de l’Egalité des Chances le souhaitait personnellement, elle n’aurait pas les pouvoirs suffisants pour pouvoir le faire étant donné que ces pouvoirs sont entre les mains du Ministère de la Santé.
Loi n°194 de 1978
Avant 1978, l’interruption volontaire de grossesse était considérée comme un crime par le Code Pénal italien, qui la punissait d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans, infligée à la fois à l’auteur de l’avortement et à la femme elle-même. Le climat dans lequel les gens vivaient jusqu’aux années 1960 était celui de l’immoralité évidente de l’avortement volontaire.
Avec la propagation du féminisme et un changement de sensibilité morale, la Loi sur la pénalisation de l’avortement en Italie et la législation prohibitive ont été radicalement modifiées, très certainement aussi suite au nombre très élevé d’avortements illégaux, qui ont souvent causé de graves complications et un grand nombre de décès sur le territoire italien.
Le 5 février 1976, une délégation de militants progressistes a présenté à la Cour de cassation la demande d’un référendum d’abrogation des articles N°546, 547, 548, 549 2ème alinéa, 550, 551, 552, 553, 554, 555 du Code Pénal, concernant les délits d’avortement sur femme consentante, d’incitation à l’avortement, d’actes d’avortement sur femme présumée enceinte, stérilisation, incitation aux pratiques contre la procréation, contagion par la syphilis ou par la blennorragie.
Après avoir recueilli plus de 700 000 signatures, le 15 avril 1976 a été fixé comme jour de la consultation en référendum. Le référendum n’a cependant pas eu de suite car le Président de la République Italienne, Giovanni Leone, a été contraint de dissoudre les Chambres.
Pendant ce temps, et nonobstant le contexte politique incertain, la Cour constitutionnelle avec la décision historique du 18 février 1975, autorisait le recours à l’IVG pour des motifs graves, arguant qu’il n’était pas acceptable de placer la santé de la femme et la santé de l’embryon ou du foetus sur le même plan.
C’est en 1978, que fût finalement votée et approuvée la Loi n°194 dite « sur l’avortement » et qui en régit le cadre légal, permettant depuis lors aux femmes, dans les cas prévus par la Loi, de pouvoir recourir à l’IVG dans un établissement public (cfr : hôpital ou centre de santé affilié à la Région d’appartenance).
Mais aujourd’hui, qu’en est-il du droit à l’avortement et de la pénalisation de celui-ci ?
Outre un nombre impressionnant de médecins obstétriciens objecteurs de conscience, c’est-à-dire refusant de se soumettre au droit à l’avortement, ce qui bien souvent impose aux femmes de parcourir de longues distances, parfois même hors Région de résidence, afin de pouvoir procéder à l’interruption de grossesse, il y a quelques jours, le parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, a déposé au Sénat un projet de Loi « pro-vie » soumis par son Député Roberto Menia. Objectif de ce projet de Loi : « déclarer que tout individu a la capacité juridique en tant qu’individu, c’est-à-dire que la subjectivité juridique naît de la conception et non de la naissance ».
« Si cela devenait effectivement une Loi, un embryon et un foetus auraient les mêmes droits qu’un homme et une femme » declare l’Avocate et Trésorière du Parti Radical Italien, Giulia Crivellini.
Pour rappel, le Parti Radical fut l’incubateur des premiers textes quant à la dépénalisation de l’interruption de grossesse. Toujours selon Crivellini ce serait un autre raccourci pour « démanteler » la Loi n° 194. Et, insistera-t-elle avec ferveur, « en termes politiques et juridiques, ce projet de Loi assimile les femmes qui veulent interrompre une grossesse à de potentiels meurtriers ».
Mais bien avant la proposition du Député Roberto Menia, ce fût à l’initiative du Sénateur Maurizio Gasparri de Forza Italia, parti politique de Silvio Berlusconi, qu’il y eût dépôt en octobre dernier d’une première proposition de Loi modifiant l’article 1er du Code civil, article selon lequel la capacité juridique s’acquiert à la naissance.
Le Chef de Groupe parlementaire de la Lega, parti de Matteo Salvini, le député Massimiliano Romeo, avait également présenté un projet de Loi qui prévoit que « l’embryon conçu puisse être reconnu comme membre de la famille, à toutes fins utiles. »
Toujours en novembre dernier, la Députée Fratelli d’Italia, Isabella Rauti, avait déposé un projet de Loi instituant « Journée de la vie naissante. »
Parce que le Droit à l’avortement devrait partie de la liberté des femmes, sans aucun doute, ni concession, pourtant, comme nous l’avons précédemment souligné la Ministre Roccella préfère créer la polémique en affirmant que l’avortement « fait malheureusement partie des libertés des femmes », au lieu de s’occuper de lever les innombrables obstacles qui empêchent l’application de la Loi N°194.
En effet, d’un côté, le gouvernement Meloni fait semblant de ne pas vouloir porter atteinte au droit à l’avortement , mais d’autre part, il ne lève pas le petit doigt pour traiter les problèmes critiques évidents.
Dans sa note politique, Giorgia Meloni déclarait d’ailleurs « Nous voulons donner aux femmes qui pensent que l’avortement puisse être le seul choix, qu’elles ont également le droit de faire un choix différent ».
Mais dans la réalité, ce n’est pas le cas, les femmes ne peuvent vraiment pas choisir, et cela la Ministre Roccella et l’ensemble de l’Exécutif le savent très bien : La Loi N°194 n’est malheureusement que très difficilement appliquée, et le gouvernement s’en moque.
Dans de nombreuses Régions d’Italie, les femmes n’ont pas la possibilité d’interrompre leur grossesse ou ont du mal à le faire à temps, étant donné que les structures hospitalières ne garantissent pas toujours la présence de personnel de santé non opposé à l’interruption de grossesse.
Cela se passe par exemple en Calabre, à l’hôpital de Cosenza, où depuis l’été dernier dans le service de gynécologie-obstétrique il n’y a même plus de médecin non objecteur de conscience.
Face à de tels dysfonctionnements, il n’est pas toujours possible de trouver des alternatives, en raison d’une pénurie chronique de personnel soignant.
Or la Loi N°194 devrait garantir, en plus du Droit des médecins à l’objection de conscience, le Droit principal des femmes, de toutes les femmes, de pouvoir interrompre une grossesse. Deux droits qui devraient être en soi complémentaires, mais qui se trouvent en réalité en antithèse, dans une situation où parfois tous les médecins des structures agréées sont objecteurs, sans aucune exception.
De plus, ce qui se passe dans les hôpitaux n’est pas un mystère, bien souvent les femmes qui souhaitent avorter, au lieu d’être accueillies et accompagnées, sont découragées et rencontrent également des difficultés pour obtenir un certificat d’interruption de grossesse, qui devrait simplement certifier la volonté d’une personne de se faire avorter.
Or, la Loi N°194 (article 9) est très claire sur ce point : L’objection de conscience exempte le personnel de santé et le personnel exerçant des activités annexes de l’exécution des actes et des activités visant spécifiquement et nécessairement à provoquer l’interruption de grossesse, et non de l’assistance avant et après l’intervention.
Ce que le gouvernement devrait faire aujourd’hui, au lieu de dénigrer ou de blâmer le libre choix de ne pas poursuivre une grossesse, c’est plutôt de rendre publiques toutes les données sur l’application réelle de la Loi N°194 et sur le nombre d’objecteurs de conscience en Italie, afin de identifier les réelles anomalies et d’intervenir rapidement afin de les corriger.
L’attitude du gouvernement est impardonnable : d’un côté, faire semblant de ne pas s’attaquer au droit à l’avortement, mais de l’autre, ne pas lever le petit doigt pour régler les problèmes qui empêchent la capacité aux femmes italiennes de pouvoir exercer librement leur choix.
Dans une démocratie européenne, l’avortement devrait continuer à faire partie intégrante des libertés fondamentales des femmes, simplement parce qu’il est établi par la Loi. Des déclarations telles que celles de la Ministre Roccella ne devraient en aucun cas pouvoir faire partie du répertoire d’un gouvernement élu démocratiquement.